GHGeographica HelveticaGHGeogr. Helv.2194-8798Copernicus PublicationsGöttingen, Germany10.5194/gh-72-1-2017Book review: Manifeste pour une géographie environnementaleDemaillyKaduna-Evekadunaeve.demailly@gmail.comUniversité de Fribourg, Fribourg, SuisseDépartement de Géosciences, Unité de Géographie
Chercheur associée UMR Ladyss, Paris, FranceKaduna-Eve Demailly (kadunaeve.demailly@gmail.com)2January201772113This work is licensed under a Creative Commons Attribution 3.0 Unported License. To view a copy of this license, visit http://creativecommons.org/licenses/by/3.0/This article is available from https://gh.copernicus.org/articles/72/1/2017/gh-72-1-2017.htmlThe full text article is available as a PDF file from https://gh.copernicus.org/articles/72/1/2017/gh-72-1-2017.pdf
Chartier, D. et Rodary, E. (dir.): Manifeste pour une géographie environnementale, Presses de Sciences Po, Paris, 439 pp., ISBN-13: 978-2-7246-1840-2, EUR 25.00, 2016.
Cet ouvrage, qui s'inscrit dans la continuité du colloque
« Géographie, écologie, politique : un climat de changement »
organisé en 2012 à Orléans, est codirigé par Denis Chartier
et Estienne Rodary. L'enjeu de la construction d'une géographie
politique de l'environnement qui se trouve au cœur de ce « manifeste » n'est pas
nouveau pour ces chercheurs, par ailleurs rédacteurs en chef de la revue
Ecologie et Politique. En effet, il fait, en 2007 déjà, l'objet d'un
article commun dans L'espace politique (Chartier et Rodary, 2007).
Pour ces auteurs, il est essentiel que la géographie se saisisse
des questions environnementales dans une perspective politique. L'ouvrage
est ainsi présenté comme un manifeste pour une géographie
environnementale appelée à être refondée par les
transformations induites par la prise en compte de l'environnement et par le
dialogue avec les autres sciences et la société civile ; le tout
dans le but de « construire les politiques de l'Anthropocène »
(p. 46). Si la problématique générale est bien d'interroger les
conditions d'émergence et de structuration d'une géographie
environnementale, l'objectif annoncé dans l'introduction est pourtant
réduit : il s'agit de répondre aux évolutions et aux
révolutions que l'environnement provoque dans la discipline.
Alors que l'école classique de géographie française s'est
fondée sur l'analyse des relations entre nature et sociétés,
force est de constater que la discipline n'a pas su se saisir de
l'environnement au début des années 1970, quand il devient à la
fois fait de société et enjeu politique. Cet échec, en dépit
des avantages historiques de la géographie, constitue le premier
postulat partagé par les contributeurs. Le second est relatif aux
proximités des postures de recherche, qui revendiquent la dimension
politique des questions environnementales (« les interrelations entre
pouvoirs, spatialités et dynamiques écologiques sont au cœur des
préoccupations » souligne Baptiste Hautdidier, p. 79). En
réaction à une géographie de l'environnement qualifiée de
moderniste et d'écosceptique
Je renvoie ici à
l'ouvrage Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête, cité
à de nombreuses reprises, issu d'un colloque organisé par la
Société Française de Géographie en septembre 2010 (Brunel et
Pitte, 2010).
, Denis Chartier et Estienne Rodary entendent constituer un
positionnement résolument plus politique et davantage en dialogue avec
la géographie anglophone, notamment avec le champ de la Political Ecology. Pour ce faire, ils s'appuient sur 22 contributeurs, français
pour la plupart, abordant une grande variété d'objets
et de territoires.
L'ouvrage est composé de trois parties (Premières charges ; Histoire
des occasions manquées et Mises en dialogues actuelles).
La première vise à affirmer l'émergence d'une géographie
politique française de l'environnement. Christophe Grenier entérine
une scission entre géographes qui s'intéressent à
l'environnement tandis que Baptiste Hautdidier met en perspective, grâce
à une analyse bibliométrique, la géographie française et
anglophone.
Dans la deuxième partie, les raisons de l'échec de la géographie à se positionner au
sein des études environnementales sont examinées dans une perspective historique et
épistémologique par le prisme des difficiles relations entre écologie et géographie.
Plusieurs obstacles sont développés : le modernisme et l'idéologie du progrès,
la césure entre
géographie humaine et géographie physique ainsi que le tournant
spatialiste de la discipline dans les années 1960. Afin de dépasser
l'inertie des héritages et pour construire un nouveau mouvement, les
contributeurs réexaminent des notions clés (comme
« Raubwirtschaft » convoquée par Patrick Matagne ainsi que par
Pierre-Olivier Garcia et Jérémy Grangé qui mobilisent
également les « faits d'occupation destructrice »). Le rôle de
« passeurs » français, comme Jean Brunhes et Élisée Reclus
(Philippe Pelletier), est mis en évidence, de même que le champ de la
Political Ecology (Christian Kull et Simon Batterbury) et de ses
figures, tels que William Bunge (Pierre-Olivier Garcia et Jérémy Grangé) et Carl Sauer (Jean-Marc Zaninetti et Kent Mathewson). Cette
partie esquisse enfin de possibles objets de dialogue entre écologie et
géographie comme le paysage (Aziz Ballouche) et l'animal (Farid Benhammou). En dépit de la valeur heuristique de cette deuxième
partie, c'est la relation entre géographie et écologie qui est mise
en avant au détriment de la dimension politique.
C'est surtout dans la troisième partie que sont présentés au
lecteur des cas d'études concrets d'une géographie environnementale
au sens où sont coanalysés des rapports de pouvoir et des dynamiques
territoriales et écologiques. Des réflexions sont entreprises sur la
reconstruction de la géographie « naturaliste » (Emmanuèle Gautier
et Pierre Pech) et notamment de la biogéographie (Frédéric Alexandre et Alain Génin). La variété des objets de recherche
présentés (Les Water Studies par David Blanchon, les feux
de brousse par Sébastien Caillaut, les territoires d'internet par Pierre Gautreau, la pollution médicamenteuse par Frédérique Blot ou
encore la résilience par Olivier Soubeyran) témoigne de
l'actualité et surtout de la pertinence scientifique d'une
géographie politique de l'environnement. Les chapitres 14 et 15, en ce
qu'ils mettent à jour des reconfigurations entre pouvoirs et savoirs
dans le champ environnemental, sont particulièrement captivants.
Bien que cette partie soit très stimulante, on regrette que la dimension
politique soit le parent pauvre de l'ouvrage, au regard du projet
annoncé de constituer une géographie environnementale associant
géographie, écologie ET politique. Cette dernière est certes
évoquée dans la plus grande partie des chapitres mais elle est trop
souvent peu développée et essentiellement abordée sous l'angle
des politiques publiques de protection et de gestion des ressources
naturelles dans une perspective aménagiste. Dans la mesure où le
dialogue avec la Political Ecology est mis en avant, on pourrait
appliquer à l'ouvrage un des reproches qui fut adressé à ce
champ à la fin des années 1990 : donner la priorité aux facteurs
écologiques au détriment de l'analyse de la dimension politique. La
Political Ecology serait ensuite passée d'une
« ecology without politics » à une « politics without ecology » (Vayda et Walters, 1999:168). Compte tenu du
décalage chronologique de structuration et des spécificités du
contexte français, on pourrait alors peut-être considérer que la
géographie française de l'environnement se situerait dans une
première phase. Le choix de resituer la géographie environnementale
dans une perspective historique questionne ensuite la pertinence de l'emploi
du terme de manifeste. Selon nous, l'ouvrage ne constitue pas un manifeste
car il n'expose pas un programme d'action mais affirme et appelle à
l'émergence d'un mouvement – à la différence par exemple du
« Manifesto for urban political ecology », cité par
Davis Blanchon, qui énumère des points précis (Heynen et al., 2006:11–13). Majoritairement dispersées dans la troisième partie,
plusieurs pistes pour la construction d'une géographie environnementale peuvent toutefois être identifiées : la nécessité de
repolitiser l'étude de l'environnement, l'importance de la
diversification des approches géographiques, du décloisonnement
disciplinaire et plus précisément de l'interdisciplinarité et enfin
la nécessité d'un dialogue avec la géographie anglophone.
Cet ouvrage a pour principale qualité d'offrir une approche historique et épistémologique relativement complète,
permettant d'appréhender la place de la géographie dans le champ des études de l'environnement. Elle met en avant
l'émergence d'une géographie environnementale, convoquant des objets
et des territoires diversifiés, qui permettrait de dépasser les
difficultés internes à la discipline (la césure entre
géographie physique et géographie humaine) et d'établir un
dialogue avec les autres sciences et la société civile. Un des
atouts de ce livre est également de rendre plus visible la
Political Ecology, encore relativement méconnue dans la
géographie française en dehors de quelques synthèses dont celle
de Tor Benjaminsen et d'Hanne Svarstad (Benjaminsen et Svastad, 2009).
Toutefois, le contrat n'est pas tout à fait rempli. D'une part, malgré la mise en évidence de quelques pistes et objets de structuration, le terme
de manifeste ne semble pas adéquat en l'absence d'un programme d'action
précis. D'autre part, si l'on se réfère au projet
annoncé en introduction, il est regrettable que les rapports de pouvoir
soient minorés au profit des dynamiques écologiques.
En définitive, comme première pierre d'un mouvement en formation,
cet ouvrage intéressera autant l'enseignant, le chercheur,
l'étudiant que le citoyen puisque le défi de la discipline – la
(ré)appropriation des questions environnementales sous un angle
politique – est avant tout un défi de société.
Références
Benjaminsen, T. A. et Svarstad, H.: Qu'est-ce que la « political
ecology » ?, Natures Sciences Sociétés, 17,
3–11, 2009.
Brunel, S. et Pitte, J.-R.: Le ciel ne va pas nous
tomber sur la tête – 15 grands scientifiques géographes nous
rassurent sur notre avenir, Paris, JC Lattès, Société
Française de Géographie, Paris
ISBN-13: 978-2-7096-3561-5, 353 pp., 2010.Chartier, D. et Rodary, E.: Géographie de
l'environnement, écologie politique et cosmopolitiques,
L'Espace Politique (en ligne), no. 1, 2007-1, mis en ligne le 15 juillet 2009, accessible à l'adresse suivante :
http://espacepolitique.revues.org/284 (la date du dernier accès : 15 septembre 2016), 2007.
Heynen, N., Kaika, M., and Swyngedouw, E.: In the nature of
Cities. Urban political ecology and the politics of urban metabolism,
London and New-York, Routledge, 270 pp., 2006.
Vayda, A. P. and Walters, B. B.: Against political
ecology, Hum. Ecol., 27,
167–179, 1999.